La segmentation utilisateurs

Ça fait plusieurs fois que je tourne autour du sujet, j’ai décidé de poser les quelques bases d’une notion qui me semble incontournable pour comprendre les évolutions baptisées 2.0 et notamment l’avenir du workplace. Comme elle est à la base de ma compétence de base…
Dans l’expression « segmentation utilisateurs », on comprend qu’il s’agit d’appliquer une démarche structurée de marketing à un marché composé d’utilisateurs. C’est d’ailleurs cette proposition que font les rédacteurs d’ITIL dans le livre « Service Strategy » : la partie « Demand Management » consiste à prendre en compte la demande des utilisateurs, à
l’anticiper et à la segmenter pour créer une offre formalisée dans le « Service Portfolio ».

Passons donc en revue ces 2 termes pour les réunir ensuite.


La segmentation

A mon sens, la segmentation de marché est une composante essentielle de toute démarche d’industrialisation : elle permet de comprendre comment adresser l’intégralité d’un marché en adaptant l’offre à chaque sous-division (segment). Chaque segment contient des clients présentant un comportement d’achat commun face à l’offre proposée.
La notion de marché peut alors s’appliquer à chaque couple offre/segment (Couple Produit-Marché pour les intimes) :
- Les chaussures de sport pour les femmes pratiquant la course à pied,
- Les pneus pour les poids lourds…
A ne pas confondre avec la notion de ciblage, utilisée dans le domaine de la communication pour orienter une campagne marketing vers les bons prospects.


Petite histoire pour illustrer le propos. Il me semble que l’anecdote est vraie, mais je ne trouve plus la référence exacte… La gare SNCF de la ville de Brac (dans le Boulonnais) dispose d’un parking de 200 places louées à un tarif unique de 1€ de l’heure.
Le taux de remplissage à la journée n’est pas très bon et les usagers se plaignent :
- Les étudiants de la faculté trouvent les places trop cheres
- Les employés de bureaux ne trouvent jamais assez de places proches de leur travail
- Les voyageurs qui viennent se garer après les 2 autres catégories d’usagers sont obligés de se garer aux places restantes, loin de la gare,
- Les clients du centre commercial aimeraient bien se garer sur ce parking mais ne veulent pas payer pour aller faire leurs courses.
Le potentiel de Chiffre d’Affaires est bloqué (200€ par heure) et le taux de remplissage ne donne pas satisfaction à la direction de la gare.
Celle-ci demande à la junior entreprise de la faculté d’appliquer une leçon de marketing à ce problème. On décide de segmenter le marché et d’apporter une réponse satisfaisante à chaque segment :
- On définit 2 types de voyageurs : les voyageurs « affaires » qui se font rembourser leur billet et sont toujours présses et les voyageur normaux qui regardent plus le prix et qui peuvent arriver un peu en avance. Les premiers paient les places 4€ de l’heure et les autres restent à 1€.
- Des places sont réservées aux bureaux et payées directement par les entreprises à hauteur de 1,5€ de l’heure,

- Les étudiants se voient réservé des abonnements spéciaux et des places à 50 cts l’heure,
- Et la gare négocie avec le centre commercial qui loue les places et les distribuent à ses clients à partir d’un certain montant d’achat.

Le résultat : les clients bénéficient d’une offre qui leur est adaptée et la direction de la gare exploite désormais un parking dont une partie du CA est assuré de manière récurrente et dont le potentiel a été amélioré.


Bien entendu, on aurait également pu considérer l’axe « remplissage horaire » et déterminer que tous ces segments n’utilisaient pas le parking au même moment : les étudiants pourraient partager leurs places avec les clients du centre commercial… mais pour l’exemple ça ira bien !

J’ai trouvé une autre application de segmentation dans le livre de Nicholas Carr que je suis en train de lire (j’aurai l’occasion d’en parler un peu plus) : dans ce livre, Carr propose une analogie entre le développement de l’industrie électrique et celle de l’industrie informatique.
Carr nous conte l’histoire de Samuel INSULL, brillant homme d’affaire et ingénieur de génie, le second de Thomas Edison (rien que ça !). Il est à la tête de l’empire de ce dernier construit sur la vente de sous-ensembles permettant à des villes de construire un système allant du générateur de courant continu jusqu’aux ampoules (light bulb in English, ça sonne joliment je trouve…), en passant par le réseau de distribution pour acheminer la lumière jusque dans les foyers.
A contre courant, il est convaincu que le gros du business n’est pas dans la vente de système mais dans la production de courant en utilisant ces systèmes. Il prend la tête d’un petit producteur de Chicago (en sacrifiant les 2/3 de son salaire) en 1892. A ce moment, le marché de la production d’électricité est dédié à la fourniture de lumière au marché domestique en courant continu. Les entreprises produisent leur propre énergie, alternative. Sa stratégie de développement tient alors en 3 points :
- Fournir le plus de clients possible : il investit alors dans des générateurs de plus en plus puissants
- Acquérir la capacité de produire de l’énergie adaptée à chaque segment de marché : il utilise alors une technologie appelée le « Rotary Converter » qui transforme n’importe quelle forme d’électricité en une autre : ceci lui permet de convertir d’unifier tous ses générateurs, de toute sorte (continu, alternatif…) en un gros générateur virtuel, mais également de fournir l’énergie adaptée à chaque segment de marché avec une capacité de production unifiée
- Adapter son offre à tous les segments : il utilise alors le « demand meter », une technologie anglaise qui permet non seulement de mesurer la consommation électrique de chaque utilisateur, mais également de fournir sa consommation en pourcentage de son pic d’utilisation. Cette notion de pic d’utilisation lui permet d’imaginer comment répartir l’utilisation de sa capacité de production de manière optimale pour répondre au besoin de tous ses clients.
Ceci permet à Insull d’attaquer le marché professionnel en proposant des prix très agressifs aux segments de marché qui utilise ses générateurs à des moments où ils n’étaient pas utilisés. Il propose d’ailleurs ses services en priorité aux compagnies de transport (qui consomment l’électricité la journée en priorité, alors que les ménages la consomment la nuit pour le chauffage et la lumière).
La segmentation de son marché permet à Insull d’optimiser sa capacité de production pour fournir l’offre la plus adaptés à chaque segment (et de générer du chiffre d’affaire au-delà de son seuil de rentabilité).

Le Rotary Converter joue ici un des rôles les plus importants du marketing de l’offre : séparer la capacité de production et le marché par une offre en proposant aux productifs de se concentrer sur l’excellence de leur production et aux clients de se concentrer sur leur utilisation.



Les utilisateurs

Je le propose comme une hypothèse de base : le service à l’utilisateur remplacera le service à l’ordinateur. Il est facile aujourd’hui de déterminer le prix d’une infogérance de PC fixe ou de Laptop… mais comment segmenter l’offre de service à l’utilisateur ? Le métier suffit-il ? Il existe certainement plusieurs exemples de segmentation utilisateurs, la différence entre toute est le nœud du problème : quel est le critère de segmentation ?

Je vous propose 2 approches : celle du Gartner et celle d’Atos Orgin.

Dans la dernière version de la structure du TCO, sortie le 19 décembre dernier, la Gartner propose 3 idées intéressantes :
- Le nouveau framework propose de calculer un TCO par device (comme auparavant) ou par utilisateur,
- Le Gartner propose d’élargir la liste des types de postes (computer paradigm) : l’ancienne liste de poste était un mélange entre type de matériel et utilisation (desktop, day-extender notebook, travelling worker notebook), la nouvelle structure prend en compte les technologies de virtualisation émergeantes :
o Application virtualization (the application is distributed or streamed to run in an isolated “bubble”),
o Blade based PC (each thin device connects on a dedicated blade located in a centralised blade centre),
o Virtual desktop infrastructure (several thin devices can share a physic server running multiple virtual machines),
o Full OS virtualization (additional virtual machine in a standard PC to run a specific environment).
- Ce qui nous concerne ici : le Gartner propose une segmentation utilisateur, qu’il appelle « user mix », basée sur un critère de besoin d’utilisation de l’énergie informatique. Je vous le livre en anglais :
o User Mix — We consider four types of users in our model, and more-demanding users will cost more to support. Data entry workers are the least demanding and generally use only one or two applications to do their work. Structured task workers may use more applications to do their jobs, but generally operate within a known set of functions, so are second least demanding. Knowledge workers are second most demanding. They may use a wider variety of applications and use them to greater depth as they perform their jobs of analyzing data to make business decisions. High-performance or power users are the most demanding, with an unpredictable need for applications and a requirement for prompt support. The amount of support that more-demanding users require and the users' salaries are higher when it comes to calculating end-user operations costs because of downtime or lost productivity.

Je voudrais prendre quelques distances avec cette position :
- Premièrement, le Gartner se sert de cette segmentation comme d’un critère de complexité permettant de pondérer un coût moyen. Si on va au bout de la démarche de segmentation, l’objectif doit être de grouper toutes les contributions de chaque segment sur plusieurs sociétés plutôt que de grouper tous les utilisateurs dans une moyenne par société…
- Deuxièmement, ceci ne pourrait-être que le premier niveau d’une segmentation de marché. Par exemple : tous les power-users n’ont pas la même consommation d’énergie informatique. Il faudra plusieurs niveaux de segmentation supplémentaire pour déterminer une réponse à chaque segment.


Atos Origin concentre ses efforts de développements dans ce domaine autour d’une offre de prestations nommée AWS. Dans ses fondations, AWS propose une segmentation basée sur le métier de l’utilisateur ; l’identification des segments est obtenue en répondant à 2 questions :
- Do your people work alone, or does their job require close co-operation with others in teams?
- Do your people work in a stable environment and are their work activities mainly located in one office, or do they work in dynamic environments and in dynamic teams?


Ceci définit 4 profils :
- ALONE (mobile task workers),
- BOUND (place centric task workers),
- CONNECTED (knowledge workers, medium mobility),
- DYNAMIC (knowledge workers, highly mobile).

Là aussi, je voudrais prendre un peu de distance :
- Le principe même de la démarche de segmentation est de poser la question à une entreprise pour segmenter sa population d’utilisateurs : ça va à l’encontre de l’idée de mutualiser les moyens proposés à un segment pour plusieurs entreprises. En d’autres termes, la segmentation utilisateurs n’est ici qu’une sous-segmentation de celle adoptée par Atos Origin (le secteur d’activité / la taille d’entreprise / l’entreprise elle-même).
- L’utilisation qui en est faite est limitée au paramétrage des droits dans l’annuaire. Je ne préjuge pas de la faisabilité technique de l’opération (même si je doute qu’on puisse tirer parti d’une telle segmentation sans l’aborder par l’angle Configuration Management global), mais la notion de service à l’utilisateur n’est puissante que si elle sert une offre qui aborde l’utilisateur dans son ensemble, pas simplement ses droits réseaux et pas simplement comme le périphérique d’un PC.


L’Offre de service à l’utilisateur
L’offre de services utilisateur est donc la réponse qui adresse l’utilisateur dans toutes ses composantes en lui proposant les fonctionnalités qui répondent à ses besoins en rendant les moyens transparents…
Je vais laisser ceci pour un prochain post et m’arrêter pour aujourd’hui. En attendant, je vous propose quelques « food for thought » :
Qu’est-ce qu’un service ? La question parait simple mais elle ne l’est pas. Il y a une différence entre un service et une prestation, entre un service et un département… Je vous propose la réponse d’ITIL, qui colle bien à l’expression « quelque chose as a service » : a service is a means of delivering value to customers (users) by facilitating outcomes customers (users) want to achieve without the ownership of specific cost and risk.

Qu’est-ce qu’un utilisateur ?
- Un métier,
- Des devices,
- Un bureau professionnel,
- Un bureau personnel,
- Des horaires élargis,
- Sa capacité de choix,
- …

Et quelques questions auxquelles il faudra répondre au travers de l’Offre :
- Qu’est-ce qui différencie le service à un utilisateur de type A à celui fourni à l’utilisateur de type B ?
- Quel est le facteur clé de succès de ce marché ?
- Quel sera le savoir faire différenciateur de ses acteurs ?
- Quel est le rapport entre « services à l’utilisateur » et « services à la personne » ?
- Quel est le bon critère de segmentation ? un critère issu du monde professionnel (le métier, … ?) un critère issu du monde personnel (statut familial, … ?)
- (en admettant que le critère de segmentation « métier » soit pertinent) n’est-il pas possible de concevoir une offre (par exemple) de « service au vendeur itinérant » qui serait pertinente pour toutes les sociétés ?
- Quels seraient les marchés (les types d’utilisateurs) early-adopters ?
- Qui sont les clients ? les décideurs, les payeurs, les prescripteurs, les utilisateurs…
- Quelle est l’influence de la capacité de choix de l’utilisateur ?
- …

Je vais juste me risquer à 2 hypothèses de travail :
- La barrière entre vie professionnelle et vie privée devient de plus en plus perméable (télé-travail, facebook, utilisation du PC perso au bureau…),
- Si le web 2.0 peut s’exprimer dans l’acronyme UGC (User Generated Content), l’entreprise 2.0 sera l’ère de l’UCT (User Chosen Tool).

Vous avez des réponses ? D’autres questions ?

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